Auguste Bossu: la construction et ses crises à Saint-Etienne

Par Auguste Bossu:

La construction et les crises
conférence faite au club Franco étranger
le 14 décembre 1932


                     Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, 

            Je vous remercie de bien vouloir m'entendre encore sur un sujet qui m'est cher: Le Bâtiment, la propriété foncière.
             Mon thème, aujourd'hui sera : La construction et les crises.
             Je vous parlerai des crises, de beaucoup de crises, depuis la crise de la natalité jusqu'aux crises financières. Je ferai, en passant, un peu d'histoire de Saint-Etienne pour illustrer ma causerie et, bien entendu, je vous dirai la relation entre ces crises et la construction, ou mieux encore l'influence de la construction sur la fin de ces crises.

            Je commencerai par la CRISE DE POPULATION:

                 1) Natalité ou Mortalité ?

             En 1926, la France comptait 600 000 habitants de moins qu'en 1914. Depuis , ce déficit n'a été comblé, en partie , que par un afflux d'étrangers.  Sans doute, il y eut , dans l'intervalle l'hétacombe de la guerre. Mais celle-ci fut compensée, s'il se peut, par le retour de la population d'Alsace-Lorraine, d'une si magnifique vitalité. Tandisque les nations alliées ou ex-ennemies, elles aussi éprouvées , ont retrouvé ou dépassé leurs chiffres de population d'avant guerre.

               Chez nous chacun se plaint des charges, celles fiscales entre autres; or, comment les réduire , tout au moins dans l'avenir, autrement qu'en les reportant sur un plus grand nombre d'épaules?


                    De ces considérations,  il résulte que le problème fiscal, celui de la sécurité, et, on le montrerait de même, le problème économique, dépendent avant tout de la population. De même, celui de la paix, qu'on chercherait sans doute vainement en dehors de l'équilibre démographique. Personne d'ailleurs, ne met en doute cette nécessité. Pour la France celà devrait se traduire par une politique, laquelle, il est permis de le dire, est sans doctrine.


                      De bons citoyens se réunissent annuellement en un congrès dit de la Natalité. Là, ils recherchent conscienceusement le développement de la population par l'allocation de subsides aux familles nombreuses; si les résultats sont minces, ils nous dispensent peut-être du pire:  le taux de natalité en France a été rejoint par celui de la Grande bretagne et de l'Allemagne, lequel s'est beaucoup abaissé.

             Néanmoins, nos plues- values de population restent nulles, alors que celle de nos émules restent élevées par suite de la régression du taux de mortalité.

 

                     Et même notre excédent de naissance de 49.539 unités, pour 1931, ne comprend que des enfants d'étrangers, nés sur notre sol, mais restant légalement, comme leurs auteurs, des étrangers, alors que les exédents de  35.525 unités pour l'Allemagne et de 176.593 pour la Grande Bretagne, les plus faibles obtenus depuis la guerre par régression de la mortalité, sont authentiquement de marque nationale.



                La population, comme une affaire, demande à être administrée, non pour le chiffre d'affaires mais pour les bénéfices. Il ne s'agit donc pas seulement d'avoir des enfants, mais de les empêcher de mourir, ainsi que les adultes. Il faut, à cette fin, réduire nos dépenses en vies humaines, c'est-à-dire la mortalité, et jusqu'à présent les Français dirigeants n'ont guère voulu l'admettre. Il est intéressant au plus haut point, en raison du piétinement de notre politique de population depuis plusieurs décades, qui à Genève et à Lausanne nous met en mauvaise posture, de savoir à quelle méthode on aura recours désormais.


                Aussi, le Ministre de la Santé publique, M. Justin Godart, informé du problème, a, dans un discours au Congrès de la Natalité, à Dijon, affirmé "la nécessité de mener de front la lutte pour la natalité et celle contre la mortalité". Il a ainsi défini une politique de population en déclarant, en outre, que le Gouvernement s'opposerait à toute réduction des avantages aux familles nombreuses. Il a défini de nouveaux moyens pour accomplir la réforme de l'habitation, prévue déjà par la déclaration ministérielle, pour résoudre le problème de la santé publique. Il s'agit donc bien d'une action cohérente à laquelle il faut souhaiter la continuité.

 

                L'expérience de la Ville de Paris a montré l'action du logement salubre sur la mortalité et la morbidité. Cette expérience fait justice de cette appréciation pessimiste, que notre nation, composée l'élémentsvieillis, ne saurait prétendre aux taux réduits de mortalité de dix pour mille et moins, atteints par nos voisins en Europe.


               Or, l'expérience faite par la Ville de Paris porte sur des Parisiens de la classe la plus modeste, ceux venus des taudis et des garnis, dotés d'une famille nombreus, et elle a fourni des résultats -consignés dans le rapport annuel de M. Risler, au Conseil Supérieur des Habitations à bon marché- tout à fait analogues à ceux les plus réduits obtenus de par le monte.

 

                Dans ces logements, la mortalité de la population laborieuse est ramenée immédiatement de 20%, et même de 40% dans les garnis, à moins de 9%.

 

                On ne peut donc approcher en France de ce résultat que dans la mesure où l'on pourra mettre à la disposition de chaque famille un logement salubre. Par la diminution de la mortalité qui en résulte, et par cela seulement, on réalisera l'accroissement de la population souhaité.

 

                De tout ceci, on peut dégager la loi suivante :

 

                Pour réduite la mortalité humaine -celle des populations les plus modeste- au minima minimorum, il n'est pas nécessaire de les enrichir; il suffit des les bien loger, fût-ce avec une haute densité, les résultats de Paris ayant été obtenus, en effet, dans des immeubles à sept étages.

 

                Autres preuve de l'efficacité propre du logement : le chômage, cependant si intense en Angleterre et en Allemagne, n'a pas auccru la mortalité, alors que nos ouvriers, moins éprouvés, mais mal logés,j continuent de mourir de deux à quatre fois plus que les citadins anglais ou allemands, y compris les chômeurs.

 

                Comment ont procédé les peuples voisins our obtenir ces résultats d'ensemble, que nous n'obtenons ainsi qu'exceptionnellement? Mais simplement comme on  fait pour multiplier les oiseaux dans un parc : en préparant leur nid.

 

                Ici et là, comme partout où de tels résultats furent atteints, on a  poursuivi, à partir de 1919, un programme méthodique de logements à l'allure de 200.00 logements environ par année, correspondant à dix milliards de francs. La fortune publique s'est accrue d'autant, non pas la fortune nominale en papier, mais celle réelle qui, malgré les vicissitudes économiques, produit son effet et sur la vie qu'elle prolonge et sur la santé qu'elle maintient.

 

                Entre toutes les solutions qu'on peut envisager pour résoudre les problèmes sociaux vitaux, entre autres celui de la population et celui de la santé publique, la solution par le logement commande et s'impose, non d'après une vue temporaire, mais suivant un dessein ferme et continu orientant efficacement les initiatives privées dans la voie où il y a profit, et pour l'intérêt social et pour l'intérêt public.

 

                Nous avons effleuré la questiond u chômage, revenons-y et parlons de :

 

II CRISE DE SURPRODUCTION ET CHOMAGE

 

                La cause unique du progès c'est le travail, autant dire la production. Or, cette propre cause du progrès se dresse en ce moment comme une menace contre l'essor matériel et intellectuel du monde. Cependant la population doit se régler sur la quantité de vivres, d'où il résulte une contradiction interne à parler en même temps de surprodution et de surpopulation.


                C'est donc à nous rendre maître de nos efforts -c'est-à-dire à réduire l'inflation de la production due à l'élan de la guerre et de l'après-guerre que nous somme conviés.

 

                Le travail ne s'accompagne de progrès que si, rendu efficace, il procure une plus-value susceptible de se conserver et de se transmettre de génération en génération. Ainsi, il permet de nouveaux progrès. Aujourd'hui, né d'hier, prépare demain.

                L'homme a fabriqué des outils, inventé des machines, capté les forces de la nature. Les villes par leur immense outillage ,en voie contiue de perfectionnement, augmentent leur population. Les machines dispensent d'efforts pénibles au point d'avoir rendu la production indépendante du dynamisme humain.


                Le mouvement démographique s'accomplit dans les pays industrialisés, par l'énorme accroissement des villes. Il obéit à une sorte de loi vitale, dont les effets agissent sur chacun de nous aussi bien que dans l'ensemble: dans chaque groupement de la population, ville ou nation, la mortalité et parallèlement la natalité décroissent. Par suite, pour un même nombre d'enfants, la population croît sur elle-même, par accroissement de la vie moyenne ; elle peut ainsi bien plus que doubler sans accroître ses charges dues à l'enfance et à la vieillesse. Les adultes deviennent proportionnellement plus nombreux ; et cette modification est le facteur incomparable non seulement de la production, mais sans doute la cause de l'évolution humaine.

 

                Pour être actuellement moins marqué chez nous, le résultat, par suite de son ancienneté, est appréciable; de 1817 à 1930, la durée de la vie moyenne s'est accrue en France de 31 à 55 ans.En sorte que, malgré une natalité de plus en plus réduite, la population a néanmoins augmenté, non seulement par diminution de la mortalité, mais par accroissement de la vie moyenne.


                La mortalité ainsi réduite a ses effets sur la production elle-même. C'est, en effet, uniquement la période active de la vie qui se trouve ainsi accrue ; la période d'éducation à l'origine, aussi bien que la période de repos au soir de la vie, restant constantes.


                Admettant que la période de vie improductive, due à ces deux causes, représente en tout quinze années, il en résulte que la durée de vie active a été portée chez nous de seize ans, en 1817,  à quarante ans, en 1930.


                A l'occasion du vote de la loi sur les assurances sociales, on a été amené à évaluer à dix journées de maladies par personne et par an la charge de la morbidité, et c'est là sans doute un minimum. Réduite en France, ainsi qu'elle peut l'être d'après la mortalité, comme elle l'est effectivement en Angleterre, en Allemagne, en Hollande, en Suède et au Danemark, l'économie résultante correspondrait à 200 milions de journées récupérées pour la production et, sans parler de l'économie de souffrances, à une économie annuelle de dépenses de 4 à 5 miliards de francs.

 

               Sans doute "la crise", comme une réaction de l'organisme survenant après une course trop rapide, telle une maladie, tend à ramener l'organisme à la santé.

 

               Mais comment ne pas discerner le changement dans l'ordre des choses dont elle est la manifestations, et alors, comment songer à consolider la situation présente dans sa forme anormale où une forte proportion de producteurs est maintenue, sans travail, au niveau physiologique normal que traduisent les statistiques de mortalité des pays les plus gravement atteints. Quel redressement attendre d'un tel moyen?

 

               Le chômage actuel résulte d'une distribution arbitraire du travail et du repos entre tous les travailleurs qui y ont chacun un droit égal. Il faut ramener la vacation quotidienne à la durée nécessaire pour procurer à chacun sa part d'activité ; dès lors, les chômeurs trouveront dans leur participation à la production, d'après leur consommation, un aliment moral, et il est bien sûr que le salaire dans ces conditions sera finalement ce qu'il peut être, d'après les possibilités d'écoulement des produits dont on peut ainsi régler la masse.

 

               Par ailleurs, c'est une des causes d'allongement de la vie moyenne que nous avons vu propre à déterminer un accroissement du nombre des travailleurs, adultes en même temps qu'elle favorise le perfectionnement intellectuel, incomparable facteur de la production et de tous nos progrès.

 

          Toutefois, chacun dans notre sphère, nous devons nous aider, afin que le ciel nous aide, et nous avons, dans ce but, fourni tout à l'heure un programme d'action qui, ne visant qu'à rattraper notre retard à l'égard du logement, résoud le problème aussi bien en lui-même qu'à l'égard du chômage.

 


 

III - CRISES ECONOMIQUES


 

               Les crises économiques ne datent pas d'aujourd'hui.

 

             Si nous remontons l'histoire, celle de Saint-Etienne en particulier, nous trouvons les mêmes causes avec les mêmes effets.L'histoire est un perpétuel recommencement !

 

               Nous puisons dans l'ouvrage de M. J.L. GRAS, ancien Secrétaire général de la Chambre de Commerce, publié en 1910, de précieuses indications à ce sujet.

 

               Nous nous bornerons à  relever jusqu'à la Révolution l'histoire économique de Saint-Etienne.

 

               A n'envisager que la matérialité des faits, l'histoire économique de la Révolution fut l'histoire de la misère publique. La question des subsistances fut terrible à Saint-Etienne pendant la Révolution.


               La période des assignats commence avec l'année 1789. Elle complique singulièrement la question des prix car, à côté de la valeur nominale des marchandises, il faut indiquer la dépréciation de l'assignat. Ce papier-monnaie n'était pas sans valeur, car le domaine de l'Etat ainsi hypothéqué, avait augmenté dans d'immenses proportions, à cause des biens consfisqués sur le clergé et sur la noblesse. Ces biens furent vendus eux-mêmes en masse contre des assignats.

 

               Les soumissionnaires furent nombreux, et les ventes furent la source de grandes fortunes immobilières qui permirent à l'industrie de se relever très rapidement après la tourmente révolutionnaire. Leurs propriétaires avaient en effet un crédit réel considérable, et ces terrains, payés avec du papier, furent revendus plus tard, par fractions, contre de bonnes espèces sonNantes.

 

               Les assignats n'étaient pas, au début, représentatifs de petites sommes. En 1790-91, les plus bas n'étaient pas inférieurs à 50 livres (47 FRS,50). Comme l'or et l'argent monnayés disparaissaient de plus en plus, les fabricants de certaines villes et quelques municipalités créèrent des bons de confiance pour les opérations de détail et comme monnaie d'appoint.

 

               En 1793, la misère continuait son oeuvre. Il fallut ouvrir des souscriptions pour donner la livre de pain à un sou aux malheureux.L'assignat était voué, comme tout papier-monnaie, à une dépréciation fatale. A mesure qu'on émettait des assignats, on les dépréciait de plus en plus.

 

               Les marchés étaient désertés par les paysans. Les boucheries peu fréquentées. La misère était à ce point grande qu'à Saint-Chamond on ordonna de tuer tous les chiens (sauf ceux des bouchers).

 

               La question du pain était toujours la question capitale. La loi du maximum, qui avait été instaurée, restait cependant sans effet.

 

               La misère était partout.

 

               Il fallait être munis de certificats des municipalités pour acheter des denrées ou objets de première nécessité autres que le pain.

 

               Le 28 vendémiaire an III (19 Octobre 1794), on commença les travaux révolutionnaires pour augmenter la fabrication des armes, travaux exécutés au moyen de réquisitions. Forges et ateliers s'étagèrent sur la nouvelle route de Roanne, du couvent Sainte-Catherine, à la place Marengo. L'arrêté portait que ces travaux seraient commencés sans délai, continués sans relâche et finis sans repos!...

 

               On ouvrit par la même occasion les rues actuelles de Sainte-Catherine, de la Loire, des Jardins et de la Paix. Les terrains étaient donnés par la commune. Un corps des nouveaux bâtiments, les Limeries, occupèrent l'emplacement de la maison Colcombet. L'église des Visitandines (Sainte-Marie), à Saint-Etienne, était affectée au traitement des résidus pour en extraire le salpêtre.

 

               En décembre 1794, le pain valait à Saint-Etienne, officiellement, 6 sols et demi la livre de 421 grammes (soit 0,77 le kilo). Mais le prix réel était beaucoup plus élevé, puisqu'en janvier 1795 le pain de seigle le plus grossier se payait 35 sols la livre, poids de Lyon, 411 grammes (soit 4,25 le kilo).

 

              Chaque jour de marché le blé haussait de 10 à 15 livres. L'assignet était tombé à 15%. En juin, il n'était plus qu'à 3%.

 

               Tous les bras s'étant livrés à la fabrication des armés, le commerce de la quincaillerie était suspendu. Quant à a rubanerie, "enfant de luxe", elle avait souffert de la situation intérieure de la France et de la cessation de ses rapports avec l'étranger. Ce commerce, disaient les correspondants, "se traîne, il languit, mais il se relèvera avec la paix".

 

               La vente des biens hospitaliers, ordonnée, puis suspendue, déchaîna, paraît-il, un véritable déluge de soumissions. On y voit le désir très légitime de placer en biens-fonds la masse d'assignats qu'on ne pouvait échanger, sans une dépréciation énorme, contre des denrées ou des marchandises cotées à des prix fabuleux. Les négociants stéphanois devaient être encombrés de cet "affreux papier", sans our cela être très riches, puisque l'assignat perdait au change presque toute sa valeur nominale et que a vie était hors de prix.

 

               Comme pour la vente des biens nationaux en 1791, alors que cependant l'assignat était à peine déprécié, le seul moyen de se constituer une réserve de biens, petite ou grande, était d'acheter des terres et de les payer en papier.

 

               En octobre 1795, l'assignat tomba à moins de 1% de sa valeur. La fin des assignats commença par le remboursement  (en mars 1796) des assignats de 50 sols et au-dessous, au dixième de leur valeur nominale. Ainsi, ceux qui, au début, avaient échangé leur numéraire contre des assignats, au pair ou à peu près, se trouvaient légalement dépouillés.

 

               Il y eut, sous le Consulat de l'Empire, une réorganisation civile, administrative, financière, universitaire de la France, dont les principes essentiels ont survécu à huit changements de gouvernement et à trois révolutions.

 

               Cette réorganisation fut peut-être l'oeuvre gouvernementale la plus forte que le monde ait connue. Oeuvre centralisatice sans doute, maisla décentralisation en 1800 aurait perpétué l'anarchie.

 

               Sans la Révolution, l'oeuvre en question eut été impossible, car elle déblaya le terrain sur lequel Napoléon construisit la France moderne. L'édifice, comme l'architecte, ne furent pas sans défauts ; mais quelle oeuvre humaine, quel homme -si grands soient-ils- ne méritent des reproches en proportion souvent de leurs qualités ou de leur grandeur ?

 

               Sous le Consulat et l'Empire, comme sous l'ancien régime, les variations de prix furent très grandes à des intervalles rapprochés. Les écarts dépassaient de beaucoup ceux que nous connaissons aujourd'hui. Les années où les vivres étaient chers, le pain surtout, ne correspondaient pas toujours aux années de guerres malheureuses, aux années d'invasion.

 

               Bien que la paix fut accueillie avec enthousiasme (25 mars 1802), il y avait nombre de banqueroutes en perspective. La concurrence était détruite par les "fabriques rivales à l'abri de la disette ou situées sur un sol moins malheureux". Le taux de l'argent était à 1% par mois.

 

               La population de Saint-Etienne s'élevait à 18 000 habitants en 1813 et, avec les faubourgs compris dans le rayon de l'octroi, à 25 000 habitants.

 

               A part l'inidustrie des armes, alimentée par la guerre, les autres industries locales furent très éprouvées, à certains moments, pendant cette période. La quincaillerie, d'ailleurs en décadence à cause de la qualité de ses produits, voyait ses expéditions maritimes arrêtées. La rubanerie souffrit beaucoup dans son exportation et à cause de la mode, trop rarement en faveur du ruban.

 

               Dès l'an X (1802), la municipalité stéphanoise traça le programme des travaux d'édilité : ouverture et prolongement de rues; création de places ; construction de ponts, d'égouts, de fontaines, de cimetières (Crêt-de-Roch, 1805), redressement et couverture de lit du Furan ; construction ou aménagement de bâtiments publics (Hôtel de Ville, tribunal, prison, théâtre, bourse, halle au blé) ; établissement d'un barrage à Rochetaillée ; création et installation d'un collège, d'une école de dessin et d'une école de mathématique ; création d'écoles primaires ; organisation d'un corps de pompiers (1807); etc.

 

               De ces travaux, les uns furent entrepris et achevés, les autres commencés seulement ou ajournés et réalisés plus tard, faute de ressources suffisantes.

 

               On peut reprocher à l'Assemblée municipale stéphanoise, essentiellement bourgeoise, de n'avoir pas prévu le développement extraordinaire de la ville et d'avoir trop joué de l'octroi. Pour son excuse à ce dernier point de vue, elle avouait, au début, qu'un emprunt n'aurait donné aucun résultat (on était trop rapproché de la Révolution et de ses désastreuses conséquences), et que l'impôt direct était déjà trop lourd. Elle vendit d'ailleurs des propriétés communales sans rapport pour se procurer des fonds.

 

               En 1804, toutes les industries avaient repris une grande activité, mais en 1810 le commerce était anéanti et il y eut beaucoup de banqueroutes.

 

               La crise de 1810 fut d'ailleurs générale.

 

               Une reprise importante du ruban se manifesta vers la fin de le même année, suivie d'un ralentissement très sensible de janvier à avril 1811. La masse des ouvriers était réduite à la misère et sollicitait l'aumône. On distribuait des soupes et des secours aux malheureux.

 

               Il y eut une autre reprise qui cessa au commencement de 1813.

 

               Jules Janin a raconté qu'à Saint-Etienne (en1813) le pain était cher et les vivres étaient rares. Son récit donne un aperçu, malheureusement trop court, de la vie locale à cette époque. Chaque ru avait un nom de bataille. La rue de Lodi, dont une partie reçut plus tard le nom de rue d'Arcole, exixtait avant le Consulat.

 

               La place Marengo fut créée en 1800. Il y avait un quai des Victoires (sur l'emplacement de la rue Gérentet) -ainsi nommé à la fin de la Révolution- et un carrefour d'Iéna, qui a disparu.

 

               Les débuts de la Restauration furent marqués par une extrême cherté des substances (1816-1817) qui fit éprouver de grandes souffrances à la classe ouvrière. Des bandes nombreuses de mendiants parcouraient les campagnes. Cette cherté était aggravée par les accapareurs qui achetaient la récolte en grains avant sa maturité. On ouvrit , en 1816, des ateliers de charité pour venir en aide aux ouvriers sans travail.

 

               En 1819-20, la situation de la rubanerie atteint un degré de splendeur qu'elle n'a jamais connu. Une crise éclata en 1826 et une autre crise à la suite de la Révolution de 1830.

 

               Cette industrie était de beaucoup la plus importante de la région. La métallurgie, qui datait seulement de 1815, prenait un grand développement ; les usines naissaient de toutes parts dans les vallées du Gier, du Furan et de l'Ondaine.

 

               L'exploitation des mines se ressentait heureusement de cette situation. On partageait le territoire houiller en concessions, et ce gros travail administratif n'allait pas sans de grandes difficultés.

 

               L'arme de guerre était peu fabriquée, mais l'arme de luxe accusa une production importante. La quicaillerie, grâce à la paix, avait reconquis une partie de son ancienne situation commerciale, mais il devait s'écouler beaucoup de temps avant a régénération de cette industrie. Il y eut cependant quelques tentatives qui donnèrent de bons résultats : la fabrication mécanique de la serrure à Saint-Bonnet-le-Château, la fabrication en grand de la lime au Chambon, etc...

 

               On constuisit, en 1822, le Palais de Justice ; en 1822, on posait la première pierre de l'Hôtel de Ville.

 

          La construction du Palais de la Bourse date de 1827.

 

               En résumé, la Restauration fur une période de calme et de prospérité. Elle connut cependant des années de crise et de disette.

 

               La population, qui était de 37 000 habitants en 1826, était tombée à 33 000 en 1831.

 

               L'hiver de 1829-30 fut très rigoureux ; le thermomètre descendit à 21° sous zéro.

 

               La situation économique générale, sous la monarchie de Juillet, fut beaucoup moins calme que sous la Restauration. Grèves, émeutes, rien ne manqua au programme. La politique absorbait davantage la population.

 

               Les révolutions ne sont jamais favorables aux affaires. Celle de 1830 ne fit pas exception à la règle, bien qu"elle fût très courte. Des prêts d'argent furent consentis au commerce et à l'industrie. Il y eut une reprise importante dans la fabrication de l'arme de guerre, car il fallait armer les gardes nationales. De gros nuages apparaissaient à l'horizon de la politique extérieure.

 

               En 1833, la première grève sérieuse éclata dans la rubanerie ; elle fut suivie de la grève, plus sérieuse encore, de 1834, et de mouvements révolutionnaires qui dégénérèrent en émeute sanglante.

 

               En 1837, crise sommerciale intense, surtout dans la rubanerie. Il fallut  distribuer des secours importants, ouvrir des chantiers communaux, organiser des fêtes de bienfaisance. La crise dura jusqu'en 1839.

 

               En 1842-44, nouvelle crise rubanière, moins grave que la précédente.

 

               Pour le malheur du commerce local, la fin de l'année 1846 et le commencement de 1847, furent particulièrement mauvais. Pendant deux mois, il y eut une stagnation presque complète dans les manufactures de Saint-Etienne. Le Gouvernement et la Ville allouèrent des crédits pour les ouvriers sans travail.

 

               Le "bon vieux temps", dont on parle aujourd'hui, aurait-il été précédé par un autre âge encore plus doux, et celui-ci par un autre où il faisait encore meilleur vivre? De même les générations suivantes ne connaîtront-elles, par rapport à celles qui les ont précédées, que des temps d'abomination?

 

               En 1844, la plupart des maisons n'ont que deux étages. Les portes et les fenêtres, presque toujours trop petites, sont le plus souvent d'une forme carrée qui frappe désagréblement la vue. Les appartements sont bas et, par conséquent, sombres et peu aérés. L'escalier occupe une très petite place ; il est roide et tourné en spirale.

 

               Il est cependant des exceptions à ce mode général de construction. On voit à Saint-Etienne quelques maisons élevées, spacieuses et assez bien distribuées.

 

               Des constructions nouvelles se font remarquer par un style qui signale de grandes améliorations, et les maisons qui bordent déjà les nouvelles rues, élevées de quatre et cinq étages, quelquefois surmontées d'un attique, produisent un agréable coup d'oeil. Aussi les rubaniers, qui ont besoin du grand jour, abandonnent les anciens quartiers étroits et enfumés pour venir habiter les vastes maisons dont nous parlons.

 

               Le nombre des maisons ou propriétés bâties est, à Saint-Etienne de  16 500.

 

               De 33 000 habitants en 1831, la population de Saint-Etienne s'éleva à 41 000 en  1837. 48 000 en 1841, 49 000 en 1846.

 

               Aucun territoire ne fut réuni à la ville pendant cette période, à l'inverse de ce qui se produisit pendant la précédente et pendant la suivante.

 

               Les autres principales communes comprenaient : Montaud, 7 000 habitants ; Outre-Furan, 3 800 ; Valbenoîte, 6 700. En 1846, Montaud, diminué de Beaubrun en 1842, était réduit à 4 300. Valbenoîte, dont on avait détaché une parcelle pour former une partie de la nouvelle commune de la Ricamarie, en accusait 5 500 ; Outre-Furan, 4 800.

 

               La Révolution de 1848, amenant la cessation brusque des affaires, jeta dans la rue une quantité d'ouvriers. Pour prévenir les troubles on ouvrit des chantiers communaux, mais les ouvriers qui y furent occupés étaient d'une insolence et d'une exigence extraordinaires. Il ne voulaient se soumettre à aucune surveillance ; souvent les piqueurs et le préposés furent mal-traités. Même en juillet, quand le travail reprit dans les ateliers, principalement dans la fabrication des armes, des commandes furent refusées, soit parce que la confiance n'était pas encore rétablie, soit parce que les ouvriers préféraient rester dans les chantiers où ils ne faisaient rien.

 

               Des chantiers communaux furent ouverts pour la construction des promenades de l'Heurton et du boulevard du Treuil, l'agrandissement du cimetière, etc...

 

               On avait pillé les couvents de la Reine, du Refuge et de la Providence (13-14 avril), accusés de faire concurrence à vil prix à la main d'oeuvre locale.

 

               En 1852, les affaires prirent un essor prodigieux.

 

               L'initiative privée fait bâtir des groupes de maisons, presque des quartiers : Tardy, Beaubrun, depuis la rue de la Loire, rue de Lyon, rue Royale (rue de la République).

 

               Les Hospices civils de Saint-Chamond construisent rue de la Charité. On construit dans toute la ville d'importants immeubles. En 1853, on inaugure le nouveau Théâtre des Ursules.

 

               Il faut remarquer -toute considération politique à part- qu'en France les coups d'Etat ont ramené la prospérité industrielle et commerciale, tandis que les révolutions ont occasionné des crises violentes et douloureuses.

 

               A la rubanerie, l'année 1849 avait été favorable. Cette industrie traversa jusqu'en 1856, la période la plus brillante de son existence. Par contre, elle subit une crise très longue à partir de 1856, crise coupée par quelques reprises partielles.

 

               La métallurgie, bien éprouvée par la crise de 1848, était encore très en souffrance en 1850. Les années suivantes, alarmée par les décrets sur le régime douanier, elle ne parvenait pas à ressaisir le terrain perdu. La reprise sérieuse ne s'affirma qu'en 1861. Elle continua presque sans interruption jusqu'à la guerre de 1870. La fabrication du matériel naval et du matériel des chemins de fer assura à cette industrie d'importants débouchés.

 

               En 1854, le loyer des maisons commença à augmenter à Saint-Etienne et cette augmentation alla en croissant à tel point que le loyer était d'un tiers plus cher, en 1856, que les années antérieures. Dès qu'un bâtiment était en construction, on retenait d'avance les appartements. C'était l'époque de grande prospérité de la rubanerie. Cet accroissement de valeur se fit remarquer dans plusieurs villes et surtout à Paris, où les affaires avaient reçu une impulsion extraordinaire, où tant de travaux étaient entrepris. Le transfert de la préfecture de Monbrison à Saint-Etienne et de tous les services départementaux, en janvier 1856, contribua à maintenir cet état de choses.

 

               On venait de réunir les communes suburbaines à la ville de Saint-Etienne qui, dès lors, était augmentée de 20 000 âmes et dont la population s'élevait par suite à près de 10 000 âmes.

 

               L'agglomération stéphanoise n'ayant, dès lors,qu'une seule administration, un seul budget, un seul octroi, de grands travaux furent commencés. On venait de terminer la caserne d'infanterie (un des trois corps de bâtiment ne fut ajouté qu'en 1873).

 

               On avait commencé la féfection de l'Hôtel de Ville; le dôme fut achevé en 1860. La reconstruction du Palais de Justice fut décidé par le Conseil général en 1856 ; la construction de l'Ecole de Dessin, par le Conseil municipal en 1857 ; l'achèvement du Palais des Arts, en 1858 ; la construction, la réfection ou l'achèvement des églises Sainte-Marie, Saint-Roch, la Rivière, Saint-André (Côte-Chaude) et du temple protestant, de 1858 à 1862.

 

               La Chambre de Commerce reprit entièrement le bâtiment de la Condition des Soies, qui fut isolé sur ses quatre façades et entouré de jardinets (1862-66).

 

               Le Jardin des Plantes, commencé en 1849, fut planté entièrement en 1859; le cours Fauriel, entrepris jusqu'à la Vivaraize, en 1856, fut continué de la Vivaraize à la Marandinière en 1858.


               La place Marengo était ornée de jardins en 1858-60. On acheva la place Jacquard (ancienne place de Montaud). Le quartier Saint-Charles avait pris un grand développement.


               Plus tard (en1866) on inaugura le barrage de Rochetaillée ; on commença la Manufacture d'Armes. Le prix des loyers s'éleva immédiatement, dans le quartier de la Manufacture.


               Des travaux beaucoup plus importants furent aussi entrepris à cette époque : transformation des quartiers Saint-André et des Gauds par la couverture du Furan, décidée en 1858.

 

               La Compagnie Immobilière de Saint-Etienne se constitua sur le lotissement Saint-André et des Gauds. Un vaste groupe de grands immeubles à étages est projeté sur ce lotissement. On en réalise seulement le grand immeuble dit "immeuble Saint-Louis", bordé de quatre rues, notamment de la place Saint-Louis (actuellement place Waldeck-Rousseau).

 

               Couverture du Furan, place Royale, commencée en 1853, exécutée boulevard du Nord ou Jules-Janin en 1860, palce du Treuil en 1864, de la place du Peuple à la rue du Chambon et place des Ursules en 1867-1868 ; construction du barrage du Gouffre d'Enfer pour l'alimentation en eau, décidée en 1858 et achevée en 1866.

 

               Saint-Etienne, grande agglomération ouvrière, essayait de se donner l'aspect d'une ville.

 

              L'architecte de la ville était M. Boysson. Il construisit le dôme de l'Hôtel de Vill, l'Ecole de Dessin, la façade de l'eglise Sainte-Marii, celle de l'église Saint-Roch, etc... oeuvres supérieures aux pauvres constructions de ses prédécesseurs comme Dalgabio, à qui l'on doit l'Hôtel de Ville et la façade de l'église Saint-Louis, dont le style laisse une impression de tristesse.

 

               Comme architecte, M. Boysson n'était point exempt de reproches, mais il n'avait pas un Hausmann auprès de lui ; il est probable qu'on le força à travailler à l'économie.

 

               On refaisait, à la même époque, les lignes de chemins de fer de Saint-Etienne, à Lyon et de Saint-Etienne à Roanne. On construisait la ligne de Saint-Etienne au Puy, et plus tard, celle de Saint-Just-sur Loire à Montbrison.

 

               En résumé, le second Empire fut une période féconde pour les industries-mères, pour le commerce local et pour la transformation de la ville, autant que ses ressources, ses conditions de vie économique, et les vues de ses administrateurs le permettaient. On ne peut que regretter que nos administrations locales n'aient pas vu plus grand. Il faut attibuer ce peu de largeur de vues à l'esprit traditionnaliste de la bourgeoisie stéphanoise, issue du peuple, économe et travailleuse, nullement dépensière.

 

               A Saint-Etienne, le préfet Thuillier poussait aux transformations ; la municipalité résistait pour ne pas endetter la ville.

 

               Néanmoins, il faut tenir compte de ce qui a été fait. Qu'on se figure Saint-Etienne avec le Furan à découvert baignant le hideux quartier des Gauds, la place Marengo sans jardins, les cours Saint-André (Victor-Hugo) et Fauriel non percés, l'alimentation en eau assurée presque comme au XVIIIème siècle, l'on reconnaîtra que si Saint-Etienne n'est pas une belle ville, elle a beaucoup gagné sur ce qu'elle était autrefois.


               Tous ces travaux occupaient une nombreuse population ouvrière, cliente du commerce local.


               La vie était plus chère, parce que les besoins allaient en progressant. Dès lors, le prix des denrées augmentait. Cette situation occasionna une série de grèves à la fin de cette période. Elles se terminèrent la plupart par des concessions au profit de la main-d'oeuvre. Le droit de grève avait été reconnu par la loi de 1864.


               Grèves diverses de  1865 à 1869 : passementiers, mineurs, cordonniers, menuisiers, etc...


               Depuis 1863, le bâtiment, à Saint-Etienne, avait subi un temps d'arrêt à cause de la crise rubanière persistante. On évaluait, pour la période 1863-68, à 70 ou 80 seulement le nombre des maisons construites ; il faut ajouteer de 20 à 25 exhaussements ; c'était un chiffre d'affaires de moins de trois millions répartis sur cinq années.

 

               Avant la grève des mineurs, la situation du commerce de détail était assez prospère. Indépendamment des grèves, la politique avait beaucoup agité le pays stéphanois.

 

               Le chiffre de la population stéphanoise, porté à 10 000 habitants (exactement 99 677) en 1856, par suite de l'annexion des communes suburbaines, se trouva réduit à 92 000 en 1861, à cause du mauvais état des affaires de la rubanerie. Il remonta à 96 000 en 1866. Le recensement suivant, en 1872, accusa 110 000 habitants.

 

               En août 1870, on apprit avec stupeur nos défaites et l'invasion de la France. La faillite retentissante d'une banque de Saint-Etienne provoqua des scènes tumultueuses.

 

               A la suite du 4 septembre, les hommes qui prirent possession du pouvoir organisèrent une garde nationale, enrôlèrent des jeunes gens pour l'armée, formèrent un Comité de défense, une Commission militaire, votèrent un emprunt par souscription publique, ouvrirent des chantiers pour les ouvriers sans travail, laïcisèrent les écoles.

 

               Des ateliers d'armurerie furent installés au Lycée. La métallurgie effectua d'importantes livraisons de matériel de guerre. Vu la rareté du numéraire, des négociants formèrent une association qui émit des bons de 5 et 10 francs, destinés à être échangés contre des billets de banque ; l'entrepreneur de la Manufacture paya les salaires un dixième en espèces, le reste en bons. L'échéance des effets de commerce fut prorogée à plusieurs reprises.

 

               La rubanerie n'expédiait plus rien à Paris, assiégé par les Prussiens ; la production diminua des quatre cinquièmes ; celle des lacets, franges et galons fut arrêtée aux trois quarts ; mais l'exportation du velours en Angleterre et en Amérique procura du travail aux tisseurs restés à Saint-Etienne.

 

               Le travail reprit quand le calme fut rétabli. La reprise fut importante, pendant la seconde partie de l'année 1871, en rubanerie, où les salaires augmentèrent de 25%, dans les lacets, en métallurgie, etc...

 

               Les petits centres industriels de l'arrondissement de Montbrison (Chazelles sur Lyon, Panissières, Saint Bonnet le Château) étaient en grande activité.

 

               Lors du premier emprunt pour la libération du territoire, les souscriptions en capital, pour la ville de Saint-Etienne, s'élevaient à 4 millions et, pour l'arrondissement, à 6 300 000 francs.

 

               L'année 1872 fut exceptionnellement favorable à la rubanerie, à la métallurgie et aux mines.

 

               On construisit de nombreux bâtiments : notamment rue des Jardins 26,rue du Jeu de l'Arc, à Bellevue, plusieurs immeubles Majola angle rue Saint-Louis et rue des Creuses, angle cours Saint-André et du Palais des Arts et rue Saint-Honoré et aussi les immeubles Schoeler angle rue Saint-Louis et cours Jovin-Bouchard.

 

               En 1872, Saint-Etienne comptait : 9 243 maisons, 28 970 ménages, 36 495 locations, soit 11 ou 12 habitants par maison, alors qu'à Paris la moyenne était de 35. A Saint-Etienne, la location absorbait le neuvième du revenu.

 

               L'industrie du bâtiment, qui était depuis longtemps en souffrance, s'était relevée à Saint-Etienne dans les quartiers de la Manufacture, de Bellevue et de Châteaucreux.

 

               L'année 1873 fut moins bonne que la précédente ; dans les derniers mois, le ralentissement était très sensible dans la rubanerie, sinon dans la métallurgie et dans les mines. On signalait une reprise de l'arme de chasse, qui dura jusqu'en 1875.

 

               La quincaillerie se régénérait en constuisant des usines. Mais le commerce de détail faisait entendre des plaintes. L'incertitude politique était la principale cause de la stagnation des affaires

 

               L'absence du froid à une époque où, dans la région, la température devenait rigoureuse, aggravait la mévente. Le commerce des étoffes et celui des vêtements surtout étaient atteints. Dans l'arrondissement de Montbrison, le travail se ressentait, comme partout, du commencement de la crise.

 

               L'année 1874 fut défavorable ; rubanerie, métallurgie, mines, subirent un ralentissement considérable. Au ralentissement du travail industriel s'ajoutait une augmentation sensible du prix de la viande, qui contrastait avec la pénurie des fourrages et la vente à bas prix du bétail.

 

               Les années suivantes (1875-1880) ne furent pas favorables aux industries. Les années 1975-79, d'ailleurs, furent l'époque de luttes politiques violentes. Les salaires et les denrées avaient augmenté proportionnellement d'un tiers.

 

               L'industrie attendait beaucoup de l'exécution du plan Freycinet qui devait, en peu d'années, couvrir la France de ports, canaux, chemins de fer. On sait ce qu'il advint de ces espérances, ruinées par les déficits financiers succédant aux grosses plus-values.

 

               En 1876, Saint-Etienne comptait 119 000 habitants. Nous rappellerons, en terminant cette période 1870-1880, qu'on venait d'achever les nouveaux abattoirs de Saint-Etienne et la caserne de cavalerie. On contruisait la Grande Brasserie du Rond-Point, qui inaugura sa fabrication le 21 avril 1880.

 

               De 1880 à 1885, la situation de la rubanerie, celle de la métallurgie, furent réellement mauvaises. Cette période fut marquée par plusieurs grèves.

 

               Mais à côté du mouvement ouvrier -si peu accusé par rapport à ce qu'il est aujourd'hui- éclatait une crise financière générale, autrement grave, et dont personne n'a perdu le souvenir ; ce fut le krach de l'Union Générale, survenant après une spéculation effrénée et entraînant la chute de plusieurs banques, dont trois avaient une succursale à Saint-Etienne.

 

               La ville de Saint-Etienne se developpait et poursuivait l'exécution de travaux d'édilité considérables. La plaine de Champagne, qui avait succédé comme Champ de Mars à la plaine du Treuil, fut désaffectée à son tour ; le Champ de Mars fut transféré à Méons ; cette plaine fut percée de deux longues voies parallèles à la Grande-Rue, dont la création fut décidée en novembre 1883.

 

               On travaillait à la couverture du Furan dans le quatier de Badouillère, de la caserne au Palais des Arts (1882-85). La nouvelle rue, si lente à se bâtir, au moins d'un côté, recevait le nom de Voltaire. On perçait la rue Saint-Denis (Rue Michelet) jusqu'à la place du Peuple. Les tramways à vapeur roulaient depuis 1881. On construisait l'Ecole Professionnelle, si élégante dans sa maçonnerie neuve, et si affreusement dégradée par le mouvement des terrains de Villeboeuf.

 

               On voit s'édifier d'importans bâtiments : Dumont, angle rue d'Annonay et de l'étang de Tardy ; Malécot, angle rues de la Montat, de la Valse et de la Chance ;Cros, avenue Denfert-Rochereau ; Teyssot, angle rue de la Vapeur et rue du Furan ; Voiron, place du Peuple, angle rue Saint-Denis ; Vialla, rue du Treuil ; de Rochetaillée, 40, rue de la République ; Bujon, angle rues d'Annonay et du Furan, et les bâtiments de la Banque de France.

 

               On construisait aussi, après des polémiques sans nombre, à partir de 1885, le nouveau Lycée, achevé en 1890.

 

               La rubanerie, qui avait traversé une série de mauvaises années, reprit son mouvement ascensionnel, sauf pendant l'année 1887 ; elle atteignit l'apogée de sa production en 1889.

 

               De 1890 à 1895, la rubanerie, après avoir été en baisse plus grande en 1891 et 1892 (sauf une reprise du velours pendant cette dernière année) traversa une crise sérieuse en 1893-1894. Une souscription fut ouverte pour venir en aide aux passementiers.

 

               Une reprise du ruban marqua l'année 1895. En 1894, après bien des polémiques, on décida la constrution du nouvel Hôpital de Bellevue ; on décida aussi la construction de la Préfecture (1895).

 

               Le bâtiment accusait une augmentation du chiffre d'affaires en 1898, bien que les prix fussent en baisse à cause de la concurrence et malgré l'abondance du travail.Les salaires avaient une tendance à augmenter.

 

               1900 vit de nombreuses grèves.

 

               1901 ne fut pas une année de prospérité.

 

               1902 fut marquée par la grève générale de cinquante jours qui éclata chez les mineurs.

 

               La crise rubanière va en augmentant jusqu'en 1904. Vers la fin de l'année, une reprise qu'on espérait longue se dessina dans la fabrique, mais, en 1905 cette reprise ne se maintint pas.

 

               En 1904, grève des maçons et le bâtiment accuse une importante diminution. On démoli l'ancien hôpital pour ouvrir l'avenue Président Faure.

 

               L'année 1906 fut caractérisée, dans sa dernière période par une reprise générale dans toutes les industries.

 

               Les recensements ne sont pas d'une excactitude mathématique.

 

               On prétend que Saint-Etienne (en 1906) comptait 170 000 âmes et non  146 000 , et que, si les chiffres officiels ont peu varié depuis plusieurs recensements, c'est parce qu'une loi du 25 juillet 1893 met à la charge des communes de plus de 150 000 âmes la totalité des dépenses de l'enseignement primaire.

 

               L'enquête de 1906 démontra qu'à Saint-Etienne le nombre des logements de plus cinq pièces ne représentait qu e5% du nombre total des logements, alors que, dans la plupart des grandes, la proportion est de près de 20%.

 

               Certaines villes ont plus de pièces que d'habitants ; Saint-Etienne, pour 146 000 habitants, ne compte que 97 000 pièces.

 

               La population des logements d'une pièce est de 20% de la population totale de Saint-Etienne qui figure, on le voit, parmi les villes non seulement les plus peuplées, mais encore les plus surpeuplées, c'est-à-dire, parmi celles où la question du logement est le plus mal résolue.

 

               En 1907 et 1908, le bâtiment voyait augmenter son chiffre d'affaires.

 

              De 1909 à 1913, rien de saillants.

 

              De 1914 à 1918, la guerre.

 

              De 1919 à nos jour, l'après-guerre.

 

              Tout le monde à suffisamment présent à l'esprit ces deux dernières périodes pour qu'il soit inutile de les développer ; périodes de prostérité, pour quelques-uns pendant la guerre, et pour quelques autres après.

 

               Crise en 1921-22, puis période plus calme.

 

               Crise en 1926-27; le franc tombe à moins de dix centimes, puis il est stabilisé à vingt centimes.

 

               Observons les taux de construction pendant la période depuis 1917.


              Elle part en 1917 au coefficient 2 (deux fois le taux de 1914), monte rapidement pour atteindre en 1920 le coefficient 4.3.

 

               Lors de la crise de 1921-22, elle descent légèrement, coefficient 3,6, pour repartir en 1926 au coefficient 5,9. La crise de 1926-27 ne l'a abaissé que de 3/10ème (coefficient 5,6), puis la construction reprend sa marche ascendante rapide jusqu'en septembre 1930, où elle atteint le coefficient 8,1 (huit fois le taux d'avant-guerre!).

 

               La crise actuelle ne l'a fait fléchir qu'au coefficient de 7,4. Elle plane à ce coefficient depuis six mois et même elle remonte légèrement depuis fin septembre.

 

               La crise que nous traversons est réputée par nous-mêmes comme la plus importante qu'on ait jamais connue, importante en chiffres peut-être, mais en acuité ce n'est pas certain.

 

               Ce que nous avons dit tout à l'heure, démontre que nos pères ont passé par de pareilles crises : 1789, 1837, 1882... A remarquer que tous les trente ou quarante ans, c'est-à-dire à peu près trois fois par siècle, surgissent de grandes crises.

 

 

 

 

 

 

IV   -   CRISES FINANCIERES

 

 

 

               Devant les incertitudes présentes qui atteignent tous les domaines, l'économique comme le politique et le monétaire aussi bien que le financier, bien des gens hésitent à utiliser leurs disponibilités.

 

               Déroutés par deux années consécutives de baisse boursière, entre-coupées de reprises brusques, qui ont tenu l'espaces d'un matin, les épargnants en arrivent à penser qu'il vaut mieux garder son argent improductif plutôt que de le voir fondre comme neige au soleil en l'investissant en valeurs mobilières.

 

               Le capitaliste qui a acheté en 1928, ou depuis, des actions françaises ou étrangères et quelle que soit leur qualité, a perdu en moyenne 50% de son capital.

 

               Il est fondé à marquer de l'écoeurement et, lassé d'expériences malheureuses, il prête une oreille moins attentive au chant des sirènes qui l'invitent à acquérir telle ou telle valeur dont la hausse doit l'enrichir à bref délai.

 

               Cependant on est obilgé de convenir que l'entassement des billets dans un bas de laine ou le grossissement de comptes en banque ne peuvent être indéfinis. L'épargnant a besoin de ses revenus, soit qu'ils représentent ses seuls moyens d'existence, soit qu'ils constituent un appoint nécessaire à l'établissement de son budget.

 

               On peut mesurer ce que pourrait être l'essor économique dans un monde moins troublé au point de vue politique, et quelles sont les possibilités, quand on fait le total des capitaux sans emploi. Il n'est pas commode d'établir des chiffres pour l'ensemble des nations, mais en ce qui concerne notre pays, la tâche est beaucoup plus aisée.

 

               Sachez que les dépôts dans les banques et dans les caisses d'épargne, atteignent aujourd'hui environ 140 miliards, alors qu'ils n'étaient que de 80 miliards au 31 décembre 1929. Ajoutez à ces dépôts 20 miliards de billets de banque thésaurisés et on arrive au total fabuleux de 160 miliards, c'est-à-dire deux fois le montant des billets en circulation.

 

               Jusqu'à présent les capitaux ne pouvaient s'employer, la loi de l'offre et de la demande étant faussée en raison du taux d'intérêt excessif servi par l'Etat, à ses créanciers ; la conversion des rentes a mis fin à cette situation.

 

               Sans aller dire que tous les capitaux disponibles doivent être investis en placements immobiliers, ces derniers peuvent procurer un large emploi aux capitaux. Si le placement en immeubles n'a pas été, jusqu'à ce jour facile, parce que les maisons représentent généralement de grosses sommes et que le fractionnement n'existait, pour ainsi dire pas, cette possibilité est maintenant largement ouverte par la divison foncière, que nous développons au chapitre suivant.

 

 

 

V    -    CRISE DE L'HABITATION

 

 

 

          On a calculé qu'en France (en dehors des maisons restaurées dans les régions dévastées), on avait bâti, de 1914 à 1931, 500 000 logements, c'est-à-dire que dans cette période de dix sept ans, pendant laquelle on aurait dû créer 1 850 000 logements, on trouve un déficit de  1 350 000 logements ; et si l'on tient compte de l'accroissement de la population et de l'augmentation de bien-être qui se fait de plus en plus sentir, ce nombre ne repésente qu'imparfaitement la déficience d'habitation qui existe à l'heure actuelle.

 

               Nous avons déjà établi ici, chiffres en mains, que pour Saint-Etienne, c'est 600 logements par an que l'on aurait dû construire depuis 1914, c'est-à-dire en 17 ans plus de 10 000 logements, soit 1 200 maisons à étages, alors que pendant cette même période on en a construit une centaine seulement.

 

               Saint-Etienne manque donc, actuellement de près de 9 000 logements ou 1 100 maisons, en comptant les taudis à détruire.

 

               Ce n'est pas parce que l'on voit quelques logements à louer qu'il y a pléthore. Ce n'est pas non plus parce que quelques étrangers ou coloniaux sont repartis chez eux que la stabilisation des logements doit être faite.

 

               Si Saint-Etienne perd un certain nombre d'habitants par suite de la crise économique, notre ville, industrielle par définition, les récupérera rapidement. Nous avons des exemples dans l'histoire notamment en 1831, où la population de Saint-Etienne (la commune de Saint-Etienne seule) tombe de 37 031 habitants à 33 064, pour l'élever à 41 534 en 1837 ; en  1861, elle s'abaisse de 100 000 à 92 000, pour remonter à 96 000 en 1866 et 110 000 en 1872.

 

               Voyez la progression de Saint-Etienne au cours des siècles derniers : 3768 en 1515 ; 23 198 en 1668 ; 23 063 en 1790 ; 26 070 en 1806 ; 31 544 en 1820 ; 45 683 en 1826 ; 67 968 en 1846 ; 110 814 en 1872 ; 146 671 en 1901 ; 168 000 en 1921 ; 194 549 en 1926 (tous chiffres officiels) ; actuellement certainement beaucoup plus de 200 000 !.

 

               Quelle est la ville de France qui a eu un développement aussi rapide et aussi sontenu ? On peut dons construire beaucoup, sans crainte de voir dépasser la capacité d'emploi des logements nouveaux.

 

               La propriété bâtie urbaine traverse actuellement une crise grave, et cela sous une triple forme : crise de logement, crise d'architecture et de construction, crise juridique.

 

               Il ne s'agit pas d'un mal passager, d'un phénomène d'après-guerre, comme on pourrait le croire ; la crise de la propriété bâtie urbaine existe aussi bien chez les anciens pays neutres que chez les belligérants. Déjà avant-guerre on peut la constater chez tous les pays civilisés.

 

               Le mal parait bien tenir à la constitution des villes modernes et des phénomènes économiques de la propriété urbaine. La guerre, par le mouvement qu'elle a imprimé aux populations urbaines, n'a fait qu'en aggraver le caractère.

 

               Crise du logement : chaque famille est poussée à réduire ses exigences d'habitations, des loyers de plus en plus élevés correspondent à des logements de plus en plus restreints ; par ailleurs, la valeur des locaux commerciaux atteint des prix exorbitants.

 

               Cris d'architecture : visiblement l'architecture de l'habitation cherche à se rénover, mais elle hésite entre deux tendances contraires : celle de donner au home le plus de confort possible et celle de satisfaire non plus au besoin d'une demeure permanente, mais d'un logis de passage ; constructions à grandes pièces en supprimant les réceptions trop coûteuses ou petites pièces à confort d'hôtel de voyageurs ,

 

               Quel sera l'aboutissement des tendances modernes : l'appartement "home" ou le logis genre américain ?

 

               Crise d'emplacement : pour retirer un rendement convenable d'un terrain à bâtir on est amené à construire de plus en plus haut. Pour pouvoir construire plus haut, il faut un terrain de plus en plus grand. Ainsi la valeur de l'unité de la propriété bâtie grandit sans cesse dans les villes.


               Ceci ne va pas sans inconvénients.

 

               Plus coûteuse est la propriété, moins il y a de propriétaires. Et ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on a essayé de remédier aux inconvénients qui résultent d'un tel état de choses, en facilitant en banlieue l'accession de la propriété aux classes pauvres par des moyens de fortune ; ce n'est qu'un palliatif.

 

               Il est évident que malgré l'apport immense des organisations de Crédit immobilier urbain, l'unité de propriété immobilière est déjà trop lourde et inaccessible à la classe moyenne. La classe riche elle-même déserte les hôtels particuliers pour l'habitation en appartement.

 

               La propriété bâtie urbaine, en effet, n'augmente pas seulement en mètres superficiels, mais en mètres cubes et sa valeur s'exprime en volumes, malgré une jurisprudence en retard sur le mode de propriété.

 

               Il n'y a donc qu'une solution au problème : le lotissement de la propriété urbaine.

 

               Crise juridique : si, contrairement à ce qui s'est passé pour la propriété rurale, la propriété bâtie urbaine résiste à la division, c'est que les idées juridiques en usage sont en contradiction avec le mode de propriété.

 

               Un lotissement de la propriété en volumes met le régime de la propriété, qui est en retard sur le mode d'usage, en harmonie avec celui-ci. Les ventes par appartements en copropriété, ventes par parts ou actions de sociétés civiles ou à responsabilité limitée qu'on a faites depuis la guerre, qu'est-ce, sinon des opérations pour rendre plus accessible, en la fractionnant, la valeur de l'unité immobilière ,

 

               La base de la division foncière se justifie au point de vue droit par l'évolution même de la propriété, où l'habitation, d'abord éparse, est venue se resserrer de plus en plus, se juxtaposer, pour enfin se superposer. Les liens qui relient les propriétaires ne sont pas des liens de communauté, mais bien des liens de servitudes, telles qu'elle résultent des obligations urbaines.

 

               Entre les servitudes de cours, de murs mitoyens, de façades, de voirie, des immeubles juxtaposés et celles résultant de leur superposition, il n'y a pas une différence aussi grande qu'on serait tenté de le croire. Pour plus de clarté, établissons un parallèle entre les étages d'une maison et une série de maisons élevées le long d'une voie commune, d'un square ou d'une villa,ce qu'on est convenu d'appeler à Paris, une impasse, une cité.

 

               Ces maisons ont, soit un concierge, soit un gardien commun, les chemins d'accès et les trottoirs sont propriété comune ; le même cas se présente pour les rues et avenues tant qu'elles ne sont pas classées par la ville. Les conduites et les canalisations de l'éclairage et du tout-à-l'égout sont propriété commune.

 

               Des règlements au point de vue de l'élévation des constructions, de la nature et de l'aspect des façades, déterminent le genre d'habitation ; des servitudes existent pour les murs mitoyens et l'établissement des cours, sans compter tous les droits de passage et d"utilité publiques qu'il serait trop long d'énumérer ici.

 

               Supposez maintenant une série de maisons non plus juxtaposées, mais superposées ; les propriétaires se trouveront les uns au-dessus des autres ; le chemin placé verticalement deviendra l'escalier ; les canalisations, au lieu de courir le long des murs et au bas des portes, grimperont le long des étages. L'escalier sera commun, les canalisations seront communes, comme cela se trouvait être le cas, dans les propriétés juxtaposées, pour le chemin et les conduites le long des maisons.

 

               Il suffira donc, pour établir le caractère complètement différent de chaque propriété divise d'étage, d'enlever du domaine particulier le plus grand nombre de sevitudes communes.

 

               Et nous aurons ainsi résolu le problème de la division foncière urbaine par la division en volumes.

 

               C'est la formule que j'applique moi-même, à Saint-Etienne, depuis dix ans. Pendant cette période, j'ai construit vingt et un immeubles divisés par étages ou par appartements, ce qui représente un total de 400 logements ou 1 200 pièces d'habitation ; effort qui a procuré trente-cinq millions de francs de travaux à l'industrie et à la main-d'oeuvre du bâtiment.

 

 

 

 

CONCLUSIONS

 

 

 

               Et maintenant, je vais tirer des conclusions :

 

               L'abri de l'homme est la base de l'ordre social et économique formant ainsi le sens de l'épargne, source de bien-être et de prospérité.

 

               La question du logement est d'ailleurs, entre toutes, la plus digne d'occuper notre activité. Elle seule peut porter notre nation décimée, bien plus par les maladies inévitables que par la guerre, à la hauteur des tâches qui lui incombent, les malaises organiques, la tuberculose surtout, ne pouvant être vaincus que par le logement plus sain.

 

               Devenant le facteur d'une hygiène en progrès, le logement doit être tenu comme base de la culture par le bien-être et la santé, aussi bien que du développement de la cellule sociale qu'est la famille.

 

               Enfin, le logement sufiisant permet seul aux enfants de naître, en sorte qu'en procurant aux familles nombreuses un logement salubre à prix réduit -d'après leurs charges- on leur apporte l'aide la plus efficace et aucun secours en argent n'y peut suppléer.

 

              En visant à donner à chacun un abri pour naître, croître et se multiplier, on lui procure le premier des biens.

 

               C'est le facteur même de la paix sociale, tellement efficace que, en le négligeant, on comble les voeux des partis extrémistes qui, jamais, n'appuient une politique du logement propre à empêcher le recrutement de leurs partisans.

 

               L'or, comme la vertu, prouve son utilité par l'usage ; d'autre part, l'expérience est là pour justifier que le logement est le plus sûr emploi de la richesse.

 

               Jamais la propriété foncière ne s'est dévalorisée. Elle a toujours, au cours des siècles et malgré les tourmentes, pris de la plus-value.

 

               Et c'est la propriété foncière qui, après chaque bouleversement, a permis de sortir des crises.

 

               En effet, notre étude le démontre, après chaque crise économique, suivie d'une crise de monnaie ou crise de confiance, on a acheté des terrains. Tous n'ont pas été bâtis de suite, mais dans les quelques années qui suivirent des constructions s'édifient sur ces terrains. Quitte à n'obtenir au début qu'un rapport de 2%, les propriétaires veulent voir leurs capitaux en pierre, près d'eux, pour pouvoir les mieux surveiller.

 

               Quelle est, en outre, la meilleur façon de combattre le chômage ? que de faire travailler à plein l'industrie du bâtiment, qui fait vivre par des corps de métiers si nombreux, ses professions si diverses, des milliers de personnes, sans compter toutes les industries qui, indirectement, sont liées à la prospérité et à l'activité du bâtiment.

 

               Et je répéterai sans celle le vieux proverbe :

 

" QUAND LE BATIMENT VA, TOUT VA "

 

               Comme d'habitude, je terminerai, Mesdames, Messieurs, sur cette formule, en remerciant d'abord M. le Président Limousin d'avoir bien voulu accepter la présidence de cette réunion, puis le Conseil d'administration du Club Franco-Etranger, en particulier ses distingués Président, M. Perroudon, et Vice-Président M. Rivoire, pour m'avoir fourni l'occasion de développer cette étude, et je vous remercie tous, chers auditeurs, de m'avoir écouté avec autant de bien-veillance, trop heureux d'avoir pu vous interesser.

 

 

 

 

 

 

 

 

                           Saint-Etienne, le 14 décembre 1932

 


 

 

 



   

 


 


 




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